mardi 3 novembre 2009

La 2 pattes


Elle avait trimbalé tout ce qui a traversé ma vie : de la planche à voile à l’hélicon du gros Pat, de la « mob » à Jeff aux sacs de terreau pour agrumes, tout ce qui avait compté et rythmé mon existence avait sali ou défoncé la banquette de cette 2CV Citroën modèle 1956.

Un cadeau du tonton Christian.

Un jour, il en avait eu marre de ses ailes enveloppantes et tordues, de sa bâche bleue qui ne fermait plus et des crises de nerf de ma tante qui avait accroché une nouvelle fois sa jupe à un de ses ressorts de banquette.

Il avait alors suspendu les clés bien en vue dans la cuisine de mon appart' avec un petit mot très sympa :

« T’as jamais su garder une nana plus de 2 mois. On verra ce que tu feras avec celle-là ».

"Celle-là", elle m’aura accompagné pendant plus de vingt ans. Comme un acné tenace et nostalgique, une concubine, tantôt charitable comme un bout de pain, tantôt inavouable comme une chaussure crottée.

Je le confesse, elle m’a fait honte quelquefois, quand il me fallait sortir une copine ou ramener chez lui un collègue, mais elle s'est installée dans ma vie et a grandi au milieu des gosses, confirmant à moi-même le sentiment d’appartenir à la génération d’avant la radio transistorisée et le lève-vitre électrique.

Elle demeurait comme un alibi de jeunesse au chaud dans le garage et tournait tous les jours. Une santé de pocharde, jamais un rhume, jamais une fuite d’huile et une compression de priapique.

Et puis il a fallu que je m’en sépare. Un caprice de retour d’âge pour une petite Italienne rouge et ardente qui me faisait de l’œil depuis le fond du garage de Paulo.

Un galbe de starlette, un klaxon deux tons, tout le contraire de ma Deuch herbivore, d'un style plutôt « congés payés » que "week-end à Rome".

J’ai remisé la Deuch dans le jardin du pavillon au milieu des chardons et des salades, et elle est restée à se tremper sous la pluie, comme quand on attend son amoureux sous un porche.

Indifférent à ses coulures de rouille et à ses caoutchoucs de portes entamés, je frimais dans mon Alfa, le bras sur la portière et la radio à fond. Une vanité pré-pubère, une vraie crise de la cinquantaine.

Un beau jour, lassé de la voir se déliter et pourrir lentement, je l’ai refilée à mon neveu, un ‘tit jeune de 20 berges amateur de vieilles bécanes et instable en amours.

Juste accroché les clés au-dessus d’un poster de moto sur lequel j'ai écrit :

« Fiston, t’as jamais pu garder une nana plus de 2 mois… ».

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