jeudi 12 novembre 2009

Ombre portée


« Tu enlèves juste tes chaussures. Voilà. Ton pied gauche sur le réservoir. – Le réservoir ? – T’occupes. Tu te tiens au windshield et je prends la photo ».

Dick avait trouvé l’endroit superbe, pas trop loin de la ville, sur la rive droite de l’Hudson Crow. Pas évident la lumière et dégoter un coin peinard où on serait tranquille. Pas évident une femme mariée, pas évident un rencard en moto en fin de journée.

Diane a relevé sa jupe pour laisser voir un peu ses genoux.

Ce serait pas pareil sur un sofa ou une chaise de bistro, il a pensé, elle posait sur sa moto et c’était elle qui avait eu l’idée.

Alors il a calé l’appareil photo sur le capot de la Dodge du mari et a chiadé la mise au point en jouant sur les contrastes. Fallait qu’on voie la moto dans son entier de ferraille et de fonte. Fallait qu’on voie les sacoches aux conchos d’argent.

Le feuillage du chêne a porté une ombre légère sur la roue avant au moment où Diane tournait légèrement la tête. Le bon timing, le bon angle.

Il a entendu le miroir du Pentax et s’est dit que ça ferait un chouette souvenir, ce moment de fin de journée, juste avant le début de l’automne.

« Finalement, j’aurais préféré sans la moto. On la voit trop, et moi pas assez », elle a dit quand il a montré la photo.

Il a répondu un truc du genre « C’est toi que je vois» et elle a ri en renversant sa tête en arrière, le regard embrassant le ciel de Virginie. Il a alors caressé d’un doigt son cou découvert et posé un baiser sur ses yeux refermés.

« Tu penseras à moi, en Europe, avec toutes ces jolies filles… » Il a souri comme pour laisser planer le doute. Lui pensait maintenant au bateau qu’il allait devoir prendre le lendemain (son ordre de mobilisation mentionnait le Port de New Philey), et rajusta son calot militaire en même temps qu’elle rajustait son nœud de cravate, maintenant silencieuse.


Virginie 1944

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