jeudi 29 octobre 2009

Se lever du bon pied








Tous les matins, je tâte du côté droit de mon lit la poire de la lampe de chevet. Quand la lumière jaune me force à plisser les yeux, je bascule sur le bord du lit pour me lever en râlant et en poussant du coude.

On pourrait me croire de mauvaise humeur dès le début du jour.

Pourtant, je ne me lève jamais du pied gauche depuis que je l’ai laissé au bout de ma jambe quelque part sur le bord de l’A9.

J’ai pas vu venir le camion et j’ai rien senti sur le moment, juste la musique de mon walkman qui continuait à me remplir le crâne de décibels tordus pendant qu’on courait dans tous les sens autour de moi.

Juste le choc lourd d’un coup d’épaule dans le dos qui vous coupe le souffle et vous laisse un peu groggy et empêtré comme une espèce d’oiseau mazouté collé au bitume.

Couché sur le côté, je rigolais doucement en voyant les lumières bleues des bagnoles de flics qui étaient venues rien que pour moi, et j’ai entendu vaguement qu’un type en blouse me demandait de pas bouger-que-tout-allait-bien-se-passer.

L’après-midi, j’avais bricolé la bécane à Dudu et démonté la chaîne primaire pour installer une courroie toute neuve. Je voulais tout virer sur ce Shovel qui avait maintenant des allures d’insectes, et ça allait bien à Dudu le côté libellule, pour ces grandes pattes maigres et ses omoplates de gosse à scoliose. On avait trimé jusqu’à l’heure de l’apéro, on avait descendu pas mal de cannettes et Nico avait sorti les amplis dans la cour, pour faire chier les voisins.

J’aimais bien bricoler avec les potes, c’était comme repeindre un appartement avec sa copine le week-end, la radio dans un coin et Zelda en petite tenue qui pousse un rouleau dégoulinant d’une peinture rouge sur ses bras nus.

On avait grimpé l’engin sur un lève-moto acheté à Carrouf, un truc made in Taiwan que je Dudu avait rapporté sur sa Bleue, même que ça allait bien pour virer tout ce qui était en trop dans ce projet de chop à la Indian Larry.

La nuit nous avait surpris dans un délire de bière et de Rock and Roll.

Mais il fallait que je rentre pour nourrir le chien de mes vieux. Je me suis arraché avec l’envie de revenir le lendemain pour faire craquer cette bécane.

J’aurais dû rester me saouler et continuer à mater les loches à Zelda toute la nuit. Au lieu de ça j’ai pris l’autoroute à l’envers et j’ai failli dessouder un camion. Presque mourir ils m’ont dit à l’hôpital et y avait un bon dieu pour les toqués comme ma pomme.

J’y suis resté pas loin d’un mois dans cet hôtel qui sentait le chloroforme et la pisse. A rouler sur deux roues en équilibre sur mon fauteuil à roulettes poussé par ce con de Dudu. A chercher à me gratter l’orteil d’une jambe qui n’existait plus puisqu’on m’avait prévenu que c’était foutu pour moi la moto.

J’ai rien lâché. Je suis sorti de l’hosto à cloche pied avec mon moignon. Et bien calé sur la mob à Dudu on a filé jusqu’au garage des potos.

Sous la bâche il restait une chiure de panhead, un moteur avec un cadre tordu comme une bite de canard.

Pendant six mois on a soudé des bouts de métal que nous refilaient les gars du club, et comme j’avais gardé les pièces d’une ancienne bécane sans carte grise, on a fait un deux-en-un.

On a ajusté tout ça avec Dudu et ma bande d’apaches, même que ça devenait drôle de se retrouver tous autour de cette oeuvre. J’ai pensé que j’avais gagné mon ticket pour un tour de manège, que j’allais de nouveau goûter au vent dans les plumes et roule ma poule.


C’est quand j’ai vu la guibole en plastic que j’ai craqué. Ils avaient glissé la prothèse dans la sacoche du pan avec un morceau de tutu pour faire « nouveau marié ».

Sûr qu’on allait rouler pas mal ensemble.

Zelda m’a aidé à ajuster ma jambe neuve. Elle seule avait le droit de me toucher au-dessus du genou.

Elle a dit : « T ‘es mon capitaine Crochet, maintenant ». Et ils m’ont aidé à grimper sur la selle du Pan, comme si je pouvais me débrouiller tout seul.


On avait tout prévu pour l’embrayage et les vitesses passaient super bien grâce aux réglages de la cloche.

Y avait un bouton rouge avec marqué « gazzz » dessus. Quand j’ai appuyé ils ont tous levé les bras au ciel et un bon gros son a rempli le garage.

La moto a avancé lentement avec moi dessus et j’ai pensé que ça serait facile pour piquer des bottes pendant les soldes, vu qu’il n’y avait que des moitiés de paires aux étalages.

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