vendredi 30 octobre 2009

Peinards, près des bécanes...



Après le repas, on avait l’habitude de discuter près des motos.

Bien sûr, aucun itinéraire de sortie n’était prévu d’avance. C’était à qui dirait la meilleure, et ça pouvait prendre une plombe avant qu’on se décide à tracer la route.

Du reste, on était peinard près des bécanes.

Y avait toujours un gus pour sortir une vanne, ou montrer sa dernière trouvaille, sous la forme d’un accessoire de chrome ou de cuir à ajouter sur sa moto.

Dan avait fixé aujourd’hui ses BUCO king size sur le garde boue arrière du Panhead et ça faisait l’événement.

Un ouvrage de cuir et de clous, avec quelques diamants rubis et safran sur le côté. Splendides.

Le renflement de la sacoche droite nous avait intrigués. Dan avait alors précisé, en soulevant le rabat :

« C’est des ‘tites culottes », et effectivement l’intérieur de la pièce était rempli de dentelles blanches et roses, tassées à la va-vite.

« T’as dévalisé le magasin du paternel, Dan ? »

Sans répondre, il a serré les lanières de cuir et caressé le buddy frangé de blanc.

« Avec ça, t’es pas en manque de chattes. Sûr, elles vont les poser bien à plat sur ton buddy, et si tu sais y faire, elles vont te les essayer sous tes yeux tes ‘tites culottes de soie ».

L’évocation des entrecuisses chauffées par le cuir avait allumé les pupilles des potes qui maintenant charriaient grave le malheureux Dan.


Finie la tranquillité pour lui. On attendrait le dimanche suivant pour connaître la suite. D’ici là, l’histoire aura fait le tour du club, et les paris iront bon train pour savoir qui de Suzie ou Laura aura chauffé ses fesses dans l’espoir d’un cadeau de soie rose.

Miami, Fl. – le 20 juin 1952



Les Clubs dans les années 50' aux USA



Se retrouver entre potes pour prolonger ce qu'ils avaient vécu pendant leur mobilisation en Europe, lors du dernier conflit mondial. C'est un peu le moteur qui a fait se rassembler autour de la moto ces anciens soldats.
Quoi de plus évident alors qu'utiliser les engins de l'époque, forcément accessibles pour d'anciens démobilisés à qui le Gouvernement octroyait une prime équivalente à un an de salaire.
Pour info, une HD 750 WL coûtait en 1947 dans les 400$...

Les Clubs étaient quelquefois mixtes, mais souvent interdits aux motards de la police, histoire d'éviter aux membres en uniformes d'avoir à verbaliser des potes du club...



jeudi 29 octobre 2009

Un truc pas possible




Comme on avait rangé les pneus du père à Gus au fond du pré, on a eu, Pete et moi, l’idée d’un parcours aménagé pour nos bécanes.

Ca a été vite fait de les aligner façon « pas japonais », et j’avais à peine terminé le parcours que le Pete a voulu essayer et a enfourché son Knuckle pour foncer dans le jeu.

Je l’ai vu rougir sous l’effort et tenir le guidon d’une poigne bien serrée en jurant tout le long. La fourche n’avait jamais encaissé de pareilles ornières, même pendant nos virées les plus délirantes. Ca faisait GLONG et GLONG et le ressort du springer doublait son allonge quand il sortait de l’ornière.

Quand il a coupé le moteur, Pete a relevé ses lunettes :

« C’est casse gueule comme j’aime ce truc, et on peut organiser des courses d’enfer si on récupère le stock du paternel. Mais faut fixer les pneus avec des fiches, sinon c’est la mort.»

Et c’est comme ça qu’on a eu l’idée des paris.

Pete n’avait pas son pareil pour se faire du fric en inventant des trucs pas possibles.

Maintenant, il était question de proposer le jeu aux dames d’abord, des filles de fermiers qui n’avaient peur de rien, qui carburaient aux pancakes et au sirop d’érable. Le Pete avait compris l’enjeu et posait en dandy avec un sourire pour ces dames, un petit geste pour vérifier la tension des ceintures de reins et mater leurs fesses. Un vrai tombeur avec sa casquette club et son sourire d’acteur.

Une fois convaincues, les filles tannaient les gars jusqu’à ce qu’elles obtiennent leur bon de participation.

Les paris étaient réglos. Ca marchait d’enfer.

Sur ce coup, il y avait eu du monde le dimanche suivant pour reluquer les donzelles et rigoler un bon coup.

Je m’installais alors derrière mon stand de coca, peinard au milieu des bouteilles plongées dans la glace à attendre le chaland. J’avais tout le loisir de mater les runs et de draguer les chéries. Un vrai bonheur.

On s’est marré tout l’après-midi. Succès assuré pour plusieurs dimanches.

On laissait courir jusqu’aux grillades du soir et tout ce monde papotait jusqu’à l’heure du snack, quand il fallait enfourcher les bécnaes pour pousser jusqu’à chez Francis qui annonçait un nouveau groupe venu de Lousiane.

Je restais seul pour ranger le bazar, mais j’avais de l’argent plein les poches et un rancard avec Mina.


Retour de ballade













Se lever du bon pied








Tous les matins, je tâte du côté droit de mon lit la poire de la lampe de chevet. Quand la lumière jaune me force à plisser les yeux, je bascule sur le bord du lit pour me lever en râlant et en poussant du coude.

On pourrait me croire de mauvaise humeur dès le début du jour.

Pourtant, je ne me lève jamais du pied gauche depuis que je l’ai laissé au bout de ma jambe quelque part sur le bord de l’A9.

J’ai pas vu venir le camion et j’ai rien senti sur le moment, juste la musique de mon walkman qui continuait à me remplir le crâne de décibels tordus pendant qu’on courait dans tous les sens autour de moi.

Juste le choc lourd d’un coup d’épaule dans le dos qui vous coupe le souffle et vous laisse un peu groggy et empêtré comme une espèce d’oiseau mazouté collé au bitume.

Couché sur le côté, je rigolais doucement en voyant les lumières bleues des bagnoles de flics qui étaient venues rien que pour moi, et j’ai entendu vaguement qu’un type en blouse me demandait de pas bouger-que-tout-allait-bien-se-passer.

L’après-midi, j’avais bricolé la bécane à Dudu et démonté la chaîne primaire pour installer une courroie toute neuve. Je voulais tout virer sur ce Shovel qui avait maintenant des allures d’insectes, et ça allait bien à Dudu le côté libellule, pour ces grandes pattes maigres et ses omoplates de gosse à scoliose. On avait trimé jusqu’à l’heure de l’apéro, on avait descendu pas mal de cannettes et Nico avait sorti les amplis dans la cour, pour faire chier les voisins.

J’aimais bien bricoler avec les potes, c’était comme repeindre un appartement avec sa copine le week-end, la radio dans un coin et Zelda en petite tenue qui pousse un rouleau dégoulinant d’une peinture rouge sur ses bras nus.

On avait grimpé l’engin sur un lève-moto acheté à Carrouf, un truc made in Taiwan que je Dudu avait rapporté sur sa Bleue, même que ça allait bien pour virer tout ce qui était en trop dans ce projet de chop à la Indian Larry.

La nuit nous avait surpris dans un délire de bière et de Rock and Roll.

Mais il fallait que je rentre pour nourrir le chien de mes vieux. Je me suis arraché avec l’envie de revenir le lendemain pour faire craquer cette bécane.

J’aurais dû rester me saouler et continuer à mater les loches à Zelda toute la nuit. Au lieu de ça j’ai pris l’autoroute à l’envers et j’ai failli dessouder un camion. Presque mourir ils m’ont dit à l’hôpital et y avait un bon dieu pour les toqués comme ma pomme.

J’y suis resté pas loin d’un mois dans cet hôtel qui sentait le chloroforme et la pisse. A rouler sur deux roues en équilibre sur mon fauteuil à roulettes poussé par ce con de Dudu. A chercher à me gratter l’orteil d’une jambe qui n’existait plus puisqu’on m’avait prévenu que c’était foutu pour moi la moto.

J’ai rien lâché. Je suis sorti de l’hosto à cloche pied avec mon moignon. Et bien calé sur la mob à Dudu on a filé jusqu’au garage des potos.

Sous la bâche il restait une chiure de panhead, un moteur avec un cadre tordu comme une bite de canard.

Pendant six mois on a soudé des bouts de métal que nous refilaient les gars du club, et comme j’avais gardé les pièces d’une ancienne bécane sans carte grise, on a fait un deux-en-un.

On a ajusté tout ça avec Dudu et ma bande d’apaches, même que ça devenait drôle de se retrouver tous autour de cette oeuvre. J’ai pensé que j’avais gagné mon ticket pour un tour de manège, que j’allais de nouveau goûter au vent dans les plumes et roule ma poule.


C’est quand j’ai vu la guibole en plastic que j’ai craqué. Ils avaient glissé la prothèse dans la sacoche du pan avec un morceau de tutu pour faire « nouveau marié ».

Sûr qu’on allait rouler pas mal ensemble.

Zelda m’a aidé à ajuster ma jambe neuve. Elle seule avait le droit de me toucher au-dessus du genou.

Elle a dit : « T ‘es mon capitaine Crochet, maintenant ». Et ils m’ont aidé à grimper sur la selle du Pan, comme si je pouvais me débrouiller tout seul.


On avait tout prévu pour l’embrayage et les vitesses passaient super bien grâce aux réglages de la cloche.

Y avait un bouton rouge avec marqué « gazzz » dessus. Quand j’ai appuyé ils ont tous levé les bras au ciel et un bon gros son a rempli le garage.

La moto a avancé lentement avec moi dessus et j’ai pensé que ça serait facile pour piquer des bottes pendant les soldes, vu qu’il n’y avait que des moitiés de paires aux étalages.