dimanche 1 août 2010

Espace intime


Joe avait flashé sur ce coin de campagne, loin des boulevards de 19H00 et des néons urbains. A un virage sur la route de Eugene, il avait aperçu ce bloc de béton et de verre, quatre murs pour soutenir son garage à bécanes.

Négocié le prix d'achat à un gus qui vivait derrière une pile de dossiers et qu'il avait surpris en lui tendant sous le nez une liasse de dollars en guise de compromis de vente. Une offre pas négociable.
Il avait choisi ce coin de terre pour ranger ce qui lui restait à vivre. Remplir l'espace avec les bennes de ferraille et de moteurs à venir, alignés comme des sulfures dans un cabinet de curiosités.


La salle résonnait maintenant des bruits de la meuleuse électrique occupée à tronçonner des cadres nus au milieu d'étincelles de métal, et les murs étaient couverts de collections de casques et de selles qui avait nourri son ancienne vie de mécano.

Au fond de l'atelier, un comptoir hand-made marquait la limite de son espace personnel. Derrière, on devinait les vestiges d'une vie tourmentée de ruptures, et chacune d'elles marquait une étape dans sa vie : une tête de taureau empaillée pour le souvenir de son Espagne natale, une photo grand format représentant un buste de femme brune dont l'ombre du sein attirait l'oeil comme un hameçon de chair, juste la nostalgie du désir au milieu de reliques plus intimes.

Sous la mezzanine qu'il avait aménagée pour vivre, quatre motos attendaient sagement leurs propriétaires. Le ciselure des pneus renvoyait à d'autres époques, rien de superflu dans l'agencement des machines.
Un panneau en bois, soutenu par deux poulies sur un rail de métal, interdisait toute communication avec la chaleur crayeuse de l'extérieur, et quelqu'un avait écrit à la bombe de peinture le nombre 56, comme le millésime rare d'un Bordeaux réputé.


Suant sur un axe de roue arrière, Joe n'avait pas entendu le client qui observait la scène derrière lui. Costume blanc impeccable, la quarantaine, l'homme n'appartenait pas au milieu qui fréquentait cet endroit.
"Du beau boulot que vous faites. On voit que nous n'aimez pas traîner sur un bout de ferraille."

Joe a lâché la clé de 1/2 et a frotté un chiffon sale sur ses doigts avant d'avancer vers la silhouette blanche.
"C'est peut être que j'aime pas perdre mon temps", il a répondu.




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