mardi 27 décembre 2011

Suspendu


La pédale de kick est en gomme, à l'instart des garnitures de pédales du vélo de mon enfance. Les petites pointes de rouille sur l'axe entre les barres de caoutchouc témoignent d'un âge avancé dans l'expérience du coup de semelle bien senti.
C'est que c'est tout un art de kicker une bécane ancienne, avec le risque assumé d'un retour de bâton, d'une noyade en règle du moteur, d'une suée assurée si d'aventure la moto ne démarre pas au troisième coup de jambe. 

A froid, un moteur américain, de type panhead (pour ne prendre que cet exemple) se démarre ainsi :
sans tourner le contact et le robinet de réservoir ouvert, deux coups de kick, histoire de mouiller le carbu et lubrifier le haut moteur. 
Une fois les deux coups de jambe achevés, tourner le contact et tirer le starter à fond. Bien sentir la compression au moment d'appuyer sur la pédale de kick. Généralement la résistance se situe en fond de course, quand le talon est en extension et qu'il ne reste que quelques centimètres avant la fin de débattement du levier. 
Le moteur s'ébroue alors et finit  par démarrer, instillant un sentiment de fierté et d'étonnement, chaque fois. D'abord hésitant, le ralenti finit par scander une musique connue des seuls possesseurs de ces engins de fonte et d'aluminium. La bête est réveillée.

A chaud, c'est plus simple. Un premier coup de kick et la moto démarre. Si ce n'est pas le cas, tourner la poignée d'accélération à fond, éviter de tirer le starter, la moto démarre rapidement.



Le kick est l'attribut masculin de la moto, pourtant féminine dans l'expression. Dit-on "un" Harley ou "une" Harley ?
Ce kick est l'élément initiatique d'un rituel crapuleux fait de graisse et de pétrole. Le mouvement est en lui-même à la fois aérien et interrompu dans son élan par le vacarme d'un accomplissement de violence et de logique mécanique. 
Tout ce qui plait aux Sauvages assouvissant le désir fantasmé de baston  dans un "coup de kick" rageur et narcissique. 
Comme si le mauvais garçon avait soudain calmé ses pulsions pour se retrouver, assis et radieux au milieu d'un train électrique en mouvement au milieu de sa chambre. 

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